Un séminaire interdisciplinaire, les 12 et 13 octobre 2023, Faculté de Droit Salle des Actes
Jeudi 12 octobre
Accueil 9h
9h30 -11h
Pierre Cassou-Noguès : «Comment faire place au possible ».
11h-11h15 : Pause-café
11h15-12h45
Eleonore Le Jallé : « Roman et psychologie morale »
Pause Repas
14h-15h30
Alexandre Declos : « L’immersion vidéoludique: fiction et agentivité »
15h30-15h45 : Pause-café
15h45-17h15
Anthony Lantian (en collaboration avec Jordane Boudesseul de l’Université Paris Nanterre et Florian Cova de l’Université de Genève) : « Étude des réactions morale face à l’idée d’amplification du sentiment amoureux via des moyens pharmacologiques (« Love Drugs »). »
17h15-18h15 : Entretien avec Grégoire Bouillier, écrivain
Vendredi 13 octobre
10h-11h30
Guillaume Schuppert : Expériences de pensée et fiction
11h30-13h
Françoise Lavocat : Philosophie analytique et théories de la fiction
Déjeuner
Le projet
Quel est le rôle de la création dans la construction d’un discours théorique à visée scientifique ? Telle est la question à laquelle FICTA, programme interdisciplinaire d’étude des fictions narrative, de leur création et de leurs usages se propose de répondre à travers l’étude du recours à la fiction dans la construction du discours scientifique.
Il y a quelque chose d’a priori paradoxal à vouloir associer le discours scientifique et la fiction. Le propre de la science est, en effet, de décrire et d’expliquer le réel, alors que la fiction relève traditionnellement du domaine de l’imagination. Pourtant, l’histoire de la pensée l’atteste, la fiction a toujours été présente dans le discours scientifique[1]. Du mythe de la caverne chez Platon au zombie de David Chalmers, en passant par l’état de nature rousseauiste ou à la Terre jumelle d’Hilary Putnam, les ficta traversent ainsi l’histoire de la philosophie.
Dans le cadre de ce programme de recherche, il est important de distinguer les formes immersives et non-immersives du recours à la fiction dans l’innovation théorique ou conceptuelle. Une fiction de type non-immersive n’engage pas le lecteur et a généralement valeur d’exemple. Elle permet, le plus souvent, d’illustrer ou de renforcer un argument théorique. Plutôt que de se reposer sur un cas réel ou une donnée empirique, l’auteur ou le scientifique a recours à un cas fictif. Dans certains cas, plus rares, le caractère fictif peut également s’appliquer à ses hypothèses (Hypothèse Gaïa en sciences de la nature, ou l’homo economicus en économie ou encore les « fictions juridiques » utilisées par les juristes comme des hypothèses de travail). Ces différents usages de la fiction ont tous en commun le fait qu’ils sont le seul produit de l’imagination de l’auteur ou du scientifique.
Les formes immersives du recours à la fiction, au contraire, reposent sur la participation active du lecteur. Une expérience immersive est une expérience (virtuelle) dans laquelle un individu est placé dans un environnement fictif ou virtuel propre à provoquer chez lui des perceptions, sensations, émotions ou intuitions relatives à l’objet d’étude[2] (qui peut être, par exemple, la rationalité individuelle, les normes morales ou encore la notion d’identité personnelle). Les réactions sensorielles ou cognitives du lecteur participent alors du processus de démonstration voire, dans certains cas, de conceptualisation.
Nous nous intéresserons dans ce cadre général à la différenciation des processus mis en œuvre dans les exercices de pensée en tant que fictions[3] et « stimulateur d’intuition »[4] ou illustrations[5], dans la fiction comme exercice de pensée[6] ou support de compréhension et d’élaboration (morale, scientifique, éthique, dans le cadre de la philosophie expérimentale par exemple), ou la fiction comme argumentation ou dispositif créatif ou critique[7]. La fiction sera également envisagée dans la multiplicité et spécificité de ses thèmes et genres autant que dans ses supports (texte, films[8], série TV[9], images, jeux, jeux vidéo…).
C’est à ce type de fiction, les fictions ou narrations immersives, que FICTA sera spécifiquement consacré. Leur étude requiert une étroite collaboration interdisciplinaire. Une fiction immersive, qu’il s’agisse d’une expérience de pensée[10], d’un roman ou encore d’un jeu vidéo, est avant tout une création littéraire dotée d’un contexte, d’une histoire et de personnages. Pour véritablement constituer une expérience immersive, c’est-à-dire pour que le lecteur puisse se l’approprier et s’y projeter, la fiction doit manifester un certain nombre de qualités spécifiques ou reposer sur des mécanismes cognitifs dont l’identification, l’explication et les effets sur la création théorique implique un travail coordonné des chercheurs spécialisés en création littéraire, en psychologie cognitive et en philosophie et épistémologie des sciences.
Bonus
à voir en vidéo dans nos archives : table ronde de la Maison de la recherche sur le fables politiques et la littérature
[1] Voir, notamment J.M. Schaeffler, Pourquoi la fiction?, Le Seuil, Paris, 1999; Marion Renauld, Philosophie de la fiction. Une approche pragmatiste du roman, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2014 ; Pierre Cassou-Noguès, Mon zombie et moi. La philosophie comme fiction, Seuil, Paris, L’ordre philosophique, 2010, ou encore le dossier “Penser la fiction” coordonné par Claudio Majolino pour la revue Metodos: savoirs et textes, n°10, 2010, https://journals.openedition.org/methodos/2326.
[2] Voir notamment Patoine, P. L. (2015), Le corps-texte. Pour une théorie de la lecture empathique, ENS Éditions 2015, et son développement sur une lecture immersive, corporelle, sensorielle et émotionnelle du texte.
[3] Macherey, P. (1990), À quoi pense la littérature, Presses Universitaires de France.
[4] Dennett, D. C. (2013). Intuition pumps and other tools for thinking. WW Norton & Company.
[5] De Cruz, H. (2021). Philosophy Illustrated. Oxford University Press.
[6] Elgin, C. Z. (2014). Fiction as Thought Experiment, Perspectives on Science: Historical, Philosophical, Social, 22(2), 221-241.
[7] Dunne, A., & Raby, F. (2013). Speculative everything: design, fiction, and social dreaming. MIT press.
[8] Cavell S. (2003), Le Cinéma nous rend-il meilleurs?, Paris, Bayard. Voir également Laugier S. et Cerisuelo M., (dirs) (2001), Stanley Cavell : Cinéma et philosophie, Presses de la Nouvelle Sorbonne, Paris.
[9] H. Clemot (2022), Serial philosophie. Le paradoxe des séries TV, Presses Universitaires François Rabelais, Tours.
[10] Stuart, M. T., Fehige, Y. and Brown, J. R. (2018). The Routledge Companion to Thought Experiments. London: Routledge ; Davies, David, 2007, “Thought Experiments and Fictional Narratives”, Croatian Journal of Philosophy, VII: 29–45; Milligan, Tony, 2019, “Thought Experiments and Novels”, Studia Humana, 8: 84–92.